9 avril 2017

D’agressé à potentiel agresseur

Trigger Warning : cet article contient des mentions de viol.

Comment surmonter un événement traumatique quand personne n’est au courant ?
Comment surpasser cela quand tu ne peux pas en parler, sans t’outer ?
De la délicatesse d’avoir subi un viol quand on est un garçon trans.

Passer de l’angoisse de croiser le moindre homme, à la réalisation que l’on est un homme aussi.

Comprendre qu’avec le traitement hormonal, on va rapidement physiquement ressembler à un agresseur. Parce que si tous les hommes ne violent pas forcément, toute personne craint d’être violé·e par un homme. Voir dans le regard, dans l’attitude des personnes, dans la rue, dès qu’il est tard, la crainte de ce qui nous est arrivé.

Le viol est un sujet délicat. Surmonter ses cauchemars quotidiens, ses crises d’angoisse à la moindre évocation d’un prénom, la panique à l’idée de croiser son agresseur.

En parler est déjà difficile. Quand on sait qu’une femme sur trois a subi une agression, pourtant trop peu parviennent à en parler, et c’est toujours beaucoup d’étonnement chez leurs proches, leurs familles, quand elles affirment à demi-mot avoir été agressées sexuellement.

Le viol chez les hommes cis est lui aussi assez tabou. On en parle peu. C’est honteux.

Peu importe le genre, c’est un poids à porter toute sa vie.

Mais en tant que garçon transgenre, raconter son histoire revient à s’outer immédiatement. Quand on vit dans la quiétude de son cispassing, expliquer que oui, on a été violé aussi, devient un problème.

Chercher à en parler, comme pour le reste de son histoire, en modifiant les éléments est alors chose quasi impossible. Parce que cela reviendrait à déformer tellement l’histoire, se perdre dans une foule de détails, cela reviendrait à mentir.

Et quand on a eu la trouille de croiser tout homme durant des années de sa vie, comment gérer ce qu’on voit dans le miroir chaque jour ?

On est un homme aussi. On espère ne jamais être un agresseur. Même si l’on devient alors perçu comme tel par plus de la moitié de la population. Après avoir passé des années à culpabiliser, parce qu’au choix, on n’a rien dit, et tandis qu’on se réveille en pleurs la nuit, lui coule des jours paisibles je ne sais où. Je ne tiens pas à savoir. Loin, je l’espère.

Parce qu’on a forcément des amis en communs avec notre agresseur.

Parce que ne jamais avoir dit non, ce n’est pas avoir dit oui pour autant.

Pourtant, si le souvenir de la violence est flou, parce que je n’étais pas sobre, parce que je n’étais pas vraiment là. Le départ en trombe de cet appartement en plein milieu de la nuit, mes chaussures à la main, et rentrer chez moi sans vraiment réaliser ce qu’il s’est passé. Prendre une douche. Puis deux. Sans parvenir à effacer la sensation qu’on a été sali. Sans réussir à arrêter ses mots qui se répètent en boucle dans ma tête. Son rire gras derrière la porte, lorsqu’il raconte fièrement à son pote qu’il a gagné 30 euros. Le prix du pari pour me violer.

Parce que je ne pourrais jamais oublier. Parce que dès que le sujet vient sur la table, je suis condamné à me taire. Personne ne peut savoir, personne ne peut deviner.

Et pourtant c’est une réalité. Je ne suis pas le seul. Nous sommes un paquet.

Au même titre qu’au moins la moitié de mes amies cis ont été agressées, un pourcentage équivalent – si ce n’est plus élevé – de mes amis trans a été violé aussi.

Je ne pourrais jamais porter plainte en étant pris au sérieux. C’était déjà complexe avant ma transition, c’est désormais chose impossible. Je devrais vivre toute ma vie avec le poids de ce « secret ». Je souhaitais aujourd’hui briser le silence, même anonymement. Même alors que j’écris ceci en tremblant, avec la nausée et les larmes aux yeux. Mais c’est important. Il faut en parler. Par tout moyen possible.

Vous n’êtes pas seul·es.