21 janvier 2017

Anorexie : ces phrases que j’en ai marre d’entendre

Trigger Warning : TCA, psychophobie.
Anorexie : ces phrases que j’en ai marre d’entendre

Lorsque j’avais 16 ans, je suis rentrée dans une période d’anorexie. Je ne me souviens pas avoir eu de comportements de ce type avant. Je ne sais pas comment c’est arrivé mais je suis tombée malade.

À l’époque, et aujourd’hui encore, j’entendais partout des phrases qui me choquent concernant ma maladie. L’anorexie mentale est la cible, comme toutes les autres maladies psychologiques, de préjugés tenaces. On va me dire que les personnes qui disent ça ne pensent pas à mal, qu’iels sont seulement mal renseigné·es.

Peut-être.

En attendant, ce ne sont pas elleux qui ressentent chacune de ces paroles comme un coup de poignard dans l’estomac, qui sentent les larmes monter aux yeux et la colère aux poings.

Voici une petite compilation de ces phrases que j’ai pu entendre, et dont la bêtise me sidère à chaque fois.

Les commentaires associés à ces remarques ne sont issus que de mon propre ressenti et n’engagent que moi. Chaque personne anorexique a un vécu différent et en aucun cas je ne présume de celui des autres.

« Vu comment tu manges toi c’est sûr, tu ne seras jamais anorexique »

Je crois que cette remarque est celle qui m’a le plus blessée. J’avais environ 21 ans, j’étais en préparation de soirée avec des ami·es, et comme souvent, chargée de cuisiner. Et j’aime manger. Et goûter tout ce que je cuisine. Me voyant grignoter, un ami s’approche de moi et me dit : « Vu comment tu manges toi c’est sûr, tu ne seras jamais anorexique. » J’ai serré les poings, j’ai senti les larmes monter. Et j’ai craqué. « Ta gueule. Tu ne connais pas ma vie. J’ai été anorexique et je le suis encore, et je le serai probablement toute ma vie, alors arrête de parler sans savoir. »

« Moi j’ai un appétit trop grand pour devenir anorexique »

Parce que c’est bien connu, les personnes anorexiques n’ont jamais aimé manger de leur vie.

Si vous saviez à quel point c’est déchirant pour certain·es. Quand on aime manger, qu’on en a envie, mais qu’on en est incapable.

« Mais regarde-læ, iel est complètement anorexique. »

On entend souvent cette phrase par rapport à des mannequins, ou des personnes à la corpulence très maigre. Alors non. Arrêtez. Arrêtez de confondre maigreur et anorexie. On peut être maigre et ne pas être malade, tout comme on peut avoir une autre corpulence et être anorexique.

« Tu es trop gros·se pour être anorexique. »

Pareil qu’au-dessus.

« Tu n’as qu’à manger plus, c’est pas si compliqué. »

Ah merci ! Merci ! Grâce à ça je suis soignéééée !

Non.

Manger plus, et parfois même juste manger est un acte très compliqué pour une personne anorexique. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de volonté, ou qu’on est faible, c’est juste une force plus violente que notre propre volonté.

« C’est pas de l’anorexie, c’est manger sain. »

Alors, l’anorexie peut commencer par une obsession de manger sain. Mais se sous-alimenter, même avec des légumes verts, ça n’est pas manger sain.

Et compter chaque calorie, en se punissant pour toutes celles en trop sur notre prévisionnel, le sport, intense, longtemps, tous les jours, parfois sous des couches de vêtements pour avoir plus chaud et suer encore plus, et toutes ces choses quotidiennes qui sont devenues un étau, non ce n’est pas « manger sain ».

« Tu as déjà été à l’hôpital pour ça ? Non ? Donc tu ne l’es pas. »

Certaines personnes anorexiques n’ont même pas été officiellement diagnostiquées par le corps médical, alors l’hospitalisation n’en parlons pas. Ne dénigrez pas le vécu des gens avec cette obsession de l’hospitalisation.

« Non mais tu es jolie comme ça, tu n’as pas besoin de maigrir. »

Le souci principal des personnes anorexiques n’est pas forcément de maigrir pour être belleaux. Il y a possiblement autant d’anorexies que de personnes anorexiques. De plus, une personne anorexique va avoir une vision faussée de son corps, donc lui dire qu’elle n’a pas besoin de maigrir, ou qu’elle est maigre ne va pas nécessairement refléter sa façon de voir les choses.

« De toutes façons c’est la faute des magazines. »

Ça m’a toujours blessée que l’on considère que j’ai si peu de volonté qu’une jolie femme mince en couverture de magazine m’a fait tomber malade. L’anorexie est liée à plus que seulement les magazines. Il ne faut pas nier que les images de la beauté imposées par les médias et les publicités ont un rôle à jouer sur la façon dont les gens perçoivent leur corps, mais ramener l’anorexie uniquement à cela est un danger, et révélateur d’un manque de connaissance sur le sujet.

« Elle n’est pas anorexique, juste stressée. »

C’est ce qu’une amie à moi a dit à une autre quand celle-ci lui a fait part de son inquiétude vis-à-vis de ma perte de poids rapide. Alors oui j’étais stressée, mais ça n’est pas toujours la réalité entière. Le déni, présent chez les personnes malades, existe aussi dans l’entourage. Il est toujours plus facile de ne pas voir que de réagir.

« Tu fais ça juste pour attirer l’attention. »

Très blessant, pas du tout approprié, et très indécent.

« Ton ventre est si plat, ça me donne envie de manger dessus. »

Je vous laisserai simplement saisir l’ironie de la chose.

L’anorexie n’est pas un caprice d’adolescent·e riche

Il est démontré que l’anorexie se déclenche le plus souvent pendant l’adolescence, principalement entre 14 et 17 ans, avec un pic à 16 ans. Cependant, l’anorexie mentale touche des personnes de tous âges, enfants comme adultes, et de toutes les catégories sociales.

L’anorexie mentale affecte environ 0,5 % des femmes (le pourcentage exact varie selon les études). Elle touche aussi des hommes, mais ils représentent entre 5 et 10 % du total des personnes diagnostiquées.

L’anorexie est une maladie

Il est nécessaire de comprendre que l’anorexie est une réelle maladie. On ne choisit pas de l’être et en sortir signifie se soigner. Il ne faut pas confondre anorexie et régime.

Une personne peut avoir une relation à la nourriture déséquilibrée temporairement (perte d’appétit, régime, appétit plus grand dû à l’anxiété) mais c’est quand cette relation s’installe durablement qu’on parle de trouble du comportement alimentaire.

Aujourd’hui, il existe des critères précis pour diagnostiquer l’anorexie, basés sur les pratiques alimentaires de la personnes, sa perception d’elle-même et l’estime de soi, ainsi que des comportements liés à la maladie. Ces critères sont ceux du DSM, actuellement DSM-5. Cependant, toutes les personnes souffrant d’anorexie n’ont pas forcément été diagnostiquées. Parfois la dissimulation fonctionne bien, l’entourage ne se rend pas forcément compte que ce qui se passe, et la personne concernée est souvent dans le déni.

Il faut savoir que la moitié des personnes diagnostiquées anorexiques guérissent, cependant, sur l’autre moitié, 21 % souffre de troubles chroniques et 5 % décède. Le tiers restant voit son état s’améliorer.

D’autres pathologies peuvent être associées à l’anorexie mentale, comme la potomanie (pathologie psychiatrique se caractérisant par le besoin irrépressible de boire, principalement de l’eau, en permanence), l’hyperactivité, la dépression. De plus, 20 à 50 % des personnes souffrant d’anorexie ont aussi des crises de boulimie.

L’anorexie peut avoir des conséquences très sévères sur les personnes malades : retard de croissance, carences, alopécie, tendance à d’autres addictions (alcool, drogues), anxiété, insomnie, chute de tension, décalcification ou encore troubles de la fertilité.

Aujourd’hui, malgré une couverture médiatique récurrente, l’anorexie peine toujours en France à être prise en compte correctement par les pouvoirs publics, aidant à une réelle prise en charge médicale. On a vu par exemple la condamnation des sites pro-ana (nom donné aux personnes qui font la promotion de l’anorexie), mais cette mesure est, selon moi, de la poudre aux yeux. Beaucoup de personnels en lien avec des personnes malades ne sont pas proprement formé·es sur la maladie, qu’il s’agisse de personnel médical ou de personnes côtoyant notamment des adolescent·es (personnels de collège et lycée notamment). Quand on souffre d’anorexie, il est difficile de l’admettre soi-même, les personnes malades vont souvent fermer les yeux et nier. Mais la prise de conscience est un premier pas vers la guérison.

L’anorexie n’est pas une question de physique

On entend souvent des remarques selon lesquelles les anorexiques font ça pour être belleaux. C’est plus compliqué que cela. L’anorexie est liée à une perception du corps qui est différente d’une notion de beauté comme admise communément.

On a longtemps mis dans les critères de diagnostic pour l’anorexie mentale la peur de grossir. De nouvelles études ont montré qu’il s’agit en réalité plutôt d’un plaisir de maigrir. Cependant, tout n’est pas lié à une idée de physique idéal imposé par la société. Évidemment, cela entre en considération, mais les troubles lié à l’anorexie sont dus à plusieurs facteurs qui associés, amènent à la maladie.

La personne anorexique va souvent considérer comme une récompense la perte de poids, la vision de son corps qui fond. Mais ce n’est pas forcément en lien avec la volonté d’être belleaux.

En conclusion, quand vous n’êtes pas concerné·e par une maladie, quelle qu’elle soit, arrêtez de toujours penser que vous savez mieux que les autres. Dans le doute, renseignez-vous d’abord, ou posez des questions à une personne concerné·e si celle-ci vous dit que c’est possible. Mais dans tous les cas, arrêtez de parler de ce que vous ne connaissez pas. Les mots blessent.