
Le burkini fait beaucoup parler de lui. Surtout depuis l’avènement de la mode pudique et des vêtements couvrants. Un choix vestimentaire pour certain·es, une régression pour d’autres. C’était la polémique de cet été.
Contraction des mots « burqa » et « bikini » (pour le jeu de mots), c’est une tenue inventée en 2004 par l’Australienne Aheda Zanetti. Il s’agit d’une tunique et d’un pantalon fait·es de la même matière que les maillots de bain, avec ou sans un bonnet inclus. Il est destiné aux femmes musulmanes désirant se couvrir pour la pratique de sports aquatiques comme le surf ou la natation. Depuis, à travers son entreprise, Aheda Zanetti a décliné ce maillot de bain pour toutes les femmes souhaitant se protéger du soleil. Succès commercial, 500 000 burkinis ont été vendus en presque 12 ans. Et des enseignes comme Marks & Spencer lui ont emboîté le pas, en en proposant également.
Alors pourquoi une si violente polémique sur un vêtement qui se vend depuis une bonne dizaine d’années ? Petit rappel des faits en trois actes.
Tout commence par la privatisation d’un parc aquatique dans les Bouches-du-Rhône par l’association Smile 13, une association socio-culturelle, sportive et d’entraide pour femmes et enfants. Pour cette journée, la baignade en jilbeb de bain ou burkini était autorisée, et seul·es les femmes, les filles et les garçons jusqu’à 10 ans pouvaient venir. Jusque-là, rien de choquant. C’était sans compter les politicien·nes qui y ont vu une provocation, une énième preuve du communautarisme ou encore un non-respect des valeurs de la République. Des milliers de personnes lambda plus ou moins proches de la fachosphère ont également fait preuve d’islamophobie à propos de cette « journée burkini » (qui en fait n’en était pas une, mais bon quand on veut polémiquer on n’est pas à ça près). Finalement, cette journée privatisée a été annulée par le maire des Pennes-Mirabeau et par la direction du parc aquatique par « souci d’apaisement » face à cette polémique. De son côté, l’association Smile 13 a publié un communiqué sur sa page Facebook (qui n’est plus disponible aujourd’hui) : « Nous sommes tristes et inquiètes d’assister au déferlement de haine raciste, de grossièretés et de menaces dont nous sommes la cible, en tant qu’association mais également individuellement »
. L’association constate « avec stupeur et regret l’ampleur de la polémique »
et des responsables mentionnent des « menaces de mort qui ont visé des membres de l’équipe »
. Fin douloureuse de l’acte I.
Comme je le disais au début de cet article, la mairie de Cannes a décidé la création d’un arrêté interdisant le burkini. En bref, l’arrêté interdisait l’accès aux plages à « toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité »
, considérant que « la tenue des usagers doit respecter au maximum les règles d’hygiène »
et que « dans le contexte des derniers attentats, une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse est de nature à créer des risques de troubles à l’ordre public »
. Par la suite, vingt-six autres maires (dont celui de Nice et celui de Villeneuve-Loubet) ont également décidé d’interdire le burkini à la plage. Décision soutenue par le Premier ministre Manuel Valls qui juge que le burkini n’est « pas compatible avec les valeurs de la France et de la République »
. Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a déposé un recours en urgence contre l’arrêté de Cannes, mais la justice l’a rejeté, suggérant ainsi la légalité d’un tel arrêté. Fin de l’acte II.
Le débat continue sur le burkini, avec les déclarations de personnalités politiques comme la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol, pour qui le burkini est « une version plage de la burqa, car c’est la même logique : il s’agit d’enfermer, de dissimuler le corps des femmes pour mieux les contrôler »
. Pour Thierry Solère, député Les Républicains des Hauts-de-Seine, « c’est une mesure de bon sens, d’ordre public, puisqu’en Arabie saoudite, une femme ne se baigne pas seins nus ou en string. En France, on ne se baigne pas avec une burqa sur la plage. »
. Marine le Pen écrit quant à elle sur son blog que « le burkini doit être proscrit des plages françaises »
pour « une question de laïcité républicaine, d’ordre public »
mais également parce que « c’est de l’âme de la France dont il est question »
, allant jusqu’à comparer les femmes en burkini à de « sombres belphégors »
. Contrairement à la droite, Benoît Hamon, député PS des Yvelines, estime que ce débat est « le symbole de cet échec de la classe politique française »
qui ne parle « que de la question identitaire aux classes populaires »
. Le porte-parole du Parti communiste français (PCF) Olivier Dartigolles se montre plus virulent à l’égard de Manuel Valls, qu’il accuse de « jouer un jeu dangereux en suivant les pas d’une droite très radicalisée qui court après le Front national »
.
Suite aux déclarations de Manuel Valls, plusieurs personnalités de droite réclament une loi sur le port du burkini. Fin de l’acte III.
Pour des raisons de droits des femmes, de respect de la laïcité et des valeurs françaises, d’hygiène, de risque de troubles à l’ordre public ou d’autres plus abracadabrantesques, certaines personnalités politiques et même féministes (je précise féministes blanches et bourgeoises, comme Elisabeth Badinter ou encore Caroline Fourest) se permettent de jouer à la police vestimentaire. Revenons sur les deux principales raisons invoquées pour justifier l’interdiction du burkini.
Quand il s’agit du voile (ou du burkini dans le cas présent), c’est instantané, tout le monde a son mot à dire : signe de régression, symbole d’oppression, la situation des femmes en Arabie saoudite, etc.
Bon, en Arabie saoudite, ça n’a pas l’air de tout repos pour les femmes : elles ont assez peu d’autonomie (obligées d’avoir un tuteur qui est leur père, leur frère ou leur mari), elles ne peuvent pas conduire et elles sont obligées de porter l’abaya avec un châle pour couvrir les cheveux. Gare à elles si elles contreviennent à ces règles, la police des mœurs veille. C’est un peu du paternalisme sous couvert de religion. Mais là n’est pas le sujet (on pourrait en discuter, mais je ne suis pas saoudienne, donc je ne suis pas concernée par ça et je préfère laisser les Saoudiennes en parler).
En prétextant vouloir les libérer, ces féministes et les politiques qui partagent leurs visions considèrent les femmes musulmanes, et plus particulièrement celles qui ont choisi de se voiler, comme forcément soumises au patriarcat et incapables de lutter contre le sexisme. Un peu comme à l’époque de la colonisation et des dévoilements de femmes algériennes sur la place publique, comme l’explique Zhor Firar, une militante associative, dans cet article. Parce que le voile est vu comme le symbole même du patriarcat religieux, une femme musulmane qui choisit de le vêtir est donc influencée par le patriarcat. Ceci est donc vu comme foncièrement mauvais et irrespectueux des droits des femmes.
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La loi sur la laïcité de 1905 (déjà un siècle et 10 ans !) établit la séparation entre la société religieuse et l’État. L’État est neutre vis-à-vis des religions. La laïcité garantit également la liberté de culte pour tou·tes les Français·es, et seul·es les fonctionnaires sont tenu·es d’observer une neutralité et de ne pas afficher leur appartenance religieuse.
Sauf que depuis quelques années, la notion même de laïcité est galvaudée. La laïcité « républicaine », défendue dans les rangs de Marine Le Pen, de Manuel Valls et de la Délégation interministérielle de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA) tend à « neutraliser » tou·tes les habitant·es de la France. Pardon, « neutraliser » tou·tes les musulman·es. Ça passe par supprimer les menus de substitution au porc dans les cantines scolaires, par vouloir légiférer sur le voile dans les lieux publics, et maintenant par interdire le burkini sur les plages. Tout ce qui rend les musulman·es visibles doit être effacé au nom de cette laïcité agressive, d’où cette violente levée de boucliers depuis quelques semaines.
La « polémique burkini » n’est qu’une polémique de plus sur un vêtement associé à la religion musulmane. Ça commence par une petite embrouille, et ça se termine par des réactions virulentes et éventuellement une loi. Voici quelques exemples :
En fait, tout ce cirque n’est que du paternalisme républicain, qui ne vaut pas mieux que le paternalisme religieux qu’iels aiment tant dénoncer. Un paternalisme infantilisant avec des relents nauséabonds de néo-colonialisme.
C’est ce paternalisme qui a permis de faire passer ces lois et ces arrêtés islamophobes dans le fond. Oui, tout ce paternalisme républicain ne voile (sans mauvais jeu de mots) absolument pas leur islamophobie. Tout ceci avec la complicité des médias. Ce sont toujours les femmes musulmanes qui sont visées. Porter un hijab, un jilbeb ou un burkini est la preuve d’un refus d’intégration et d’un manque de respect de la laïcité ! Ou pire, ce n’est pas de l’initiative des femmes, c’est forcément leur père, leur frère ou leur mari qui les y a forcées ! Ce n’est pas seulement de l’islamophobie, c’est également sexiste.
Quand on en arrive à verbaliser des femmes à cause de leurs tenues (verbalisée pour son voile, premières contraventions) dans un pays comme la France, on ne vaut pas mieux que les pays comme l’Iran ou l’Arabie saoudite. Quand plus de cent personnes manifestent contre le burkini aux cris de « on est chez nous »
, ça n’a rien à voir avec la défense des femmes, c’est clairement islamophobe (manifestation anti-burkini). Quand on instrumentalise le féminisme uniquement pour taper sur les « méchants musulmans pas de chez nous »
sans regarder ce qu’il se passe autour de nous (harcèlement de rue, culture du viol, etc.), c’est de l’islamophobie.
Il serait temps d’arrêter de falsifier la laïcité pour justifier l’islamophobie. Il serait temps d’arrêter de vouloir sauver ou émanciper les femmes musulmanes en prétextant le féminisme. Il serait temps d’arrêter de parler à leur place sur ce qui concerne leur foi et leurs convictions. Il serait temps d’appliquer ce principe féministe du droit à disposer de son corps. Une femme en hijab ne vaut pas moins, ou pas plus qu’une femme sans hijab. Une femme en burkini ne vaut pas moins, ou pas plus qu’une femme en bikini. Et elles ont choisi d’elles-mêmes de porter ces vêtements. Notre corps, notre choix, vous n’avez rien à dire.
P.-S. – le Conseil d’État avait été saisi par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le CCIF au sujet de l’interdiction du burkini à Villeneuve-Loubet. Le Conseil d’État a estimé que l’arrêté municipal « a porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle »
. Il a donc invalidé l’arrêté le vendredi 26 août 2016.