19 mai 2017

Féminisme et littérature de l’imaginaire par la booktubeuse Sailor Flo

Féminisme et littérature de l’imaginaire par la booktubeuse Sailor Flo

Rencontre avec Sailor Flo, booktubeuse féministe passionnée de SFFF (science-fiction, fantasy, fantastique) et autrice.

Est-ce que tu peux présenter ta chaîne YouTube pour les lecteurices qui ne la connaissent pas ?

Avec plaisir ! Alors je m’appelle Floriane et je sévis sur la chaîne « Flo Bouquine » qui sera bientôt renommée « Sailor Flo » d’ailleurs (exclu bonjour) sur laquelle je parle de littérature. J’ai commencé par présenter mes lectures il y a deux ans environ, mais j’ai vite bifurqué vers d’autres contenus comme l’analyse de contes de fées et tout ce qui tourne autour des lectures de l’Imaginaire (SFFF) [N.D.L.R. science-fiction, fantasy, fantastique]. J’essaie d’élargir mes vidéos à des thématiques plus larges telles que « pourquoi la SFFF est mal-aimée ? » ou « Les femmes en fantasy ou en SF » pour parler de littérature et des problématiques qui y sont reliées.

Pourquoi une chaine YouTube sur la littérature ? Qu’est-ce qui te plait tant dans la science-fiction ? Pourquoi cet intérêt particulier pour la littérature contemporaine et non classique ? Considères-tu la SF comme de la « para-littérature » comme on peut le lire ici et là ?

Beaucoup de questions !

Pourquoi la littérature ? C'est vrai que de base, j’ai fait des études en sciences dures donc ça peut paraître étrange (encore que j’en ai parlé dans une vidéo, pas tant que ça en fait). J’aurais pu faire une chaîne de science, j’y ai pensé et avec le recul, je pense que je n’ai pas osé parce que je ne me sentais pas légitime (syndrome de l’imposteur tout ça, comme tellement de femmes en sciences). Aujourd’hui, je me dis que j’ai été bête, j’aurais pu faire les deux ! Mais il se trouve que mes parents m’ont mise à la lecture très tôt et m’ont abreuvée de bouquins tant contemporains/classiques que de SF. La lecture et l’écriture sont mes deux grandes passions et à l’époque je me trouvais assez isolée avec peu de gens qui lisaient autour de moi. J’avais envie de rencontrer des personnes avec qui partager cette passion et mes lectures. Comme je ne suis pas du tout blog (je n’ai ni la patience, ni la constance de tenir un blog), Youtube m’a semblé la plateforme la plus interactive et je me suis lancée. Et puis l’idée de faire des vidéos me plaisait bien, c'est dynamique et vivant.

Ce qui me plaît dans la SF ce sont les possibles (idem pour la fantasy) et cette capacité à mettre à distance le lecteur pour qu’il réalise que ce qu’il considère parfois comme normal par la force de l’habitude, ou de la manipulation, ne l’est pas ! La SF permet autant de voyager (jusqu’à d’autres planètes rendez-vous compte, c’est fou !) que de se poser des questions sur nous-mêmes. C’est le genre de l’exploration physique et intérieure, je trouve ça fascinant.

Comme j’ai eu la chance de vivre très jeune dans un environnement où les lectures de l’imaginaire n’étaient pas dénigrées par rapport aux classiques, je n’avais pas d’a priori vis-à-vis de l’un ou de l’autre. Classiques comme SF m’ont apporté des choses différentes et si, aujourd’hui, je lis plus de SFFF, plus jeune j’étais une accro aux classiques et mes lectures les plus marquantes restent les livres de Zola qui sont pour moi une référence absolue sur beaucoup de plans. C’est assez paradoxal mais je ne vois pas de schisme entre les deux. Zola étudiait les hommes, Asimov et la SF aussi. Le contexte a beau être différent, la démarche et la volonté restent les mêmes. Du coup, de moi-même, je ne considère pas la SF comme une para- ou une sous-littérature. Cependant, en grandissant, j’ai pu constater que c’était le cas pour la plupart des gens (et pour les éditeurs…) et que ceux-ci, par manque de recommandations ou de bienveillance, avaient PEUR de se lancer. Le mot est très fort mais c’est ce qui ressort, ils ont peur de lire.
C’est un peu ça que je veux faire avec ma chaîne : réhabiliter ces lectures passionnantes et les classiques de SF et fantasy qui sont spoliés par les « classiques », typiquement 1984 a sa place dans un rayon SF mais il a été « volé » et on ne le présente que très rarement comme un livre de genre, ce qu’il est jusqu’aux tréfonds de sa dernière page. Et ce n’est pas une tare, au contraire.

Quels sont tes ouvrages de référence en la matière ?

En SF pure, mes références sont celles que mon père m’a fait lire petite donc les Asimov (les robots et Fondation), Von Vogt (les non A), Valérian (en BD), Des fleurs pour Algernon qui m’a traumatisé à 10 ans. Récemment, j’ai eu un énorme coup de coeur pour Nous de Zamiatine qui a détrôné 1984 et je suis en train de lire La Servante écarlate, grosse claque. J’aime beaucoup Ursula LeGuin aussi, très féministe dans sa démarche. H.G Wells et Franck Herbert (Dune) bien sûr et Jules Verne (même si à son époque on considérait cela comme du merveilleux scientifique).

Quand j’ai lu Damasio, j’ai adoré les histoires qu’ils racontent, le contexte dans lequel elles s’inscrivent, mais j’ai été vraiment gênée par la représentation des figures féminines, cantonnées (à mon sens) à des clichés ; la jeune femme amoureuse du héros plus vieux qu’elle dans la Zone du dehors, les femmes renvoyées à la figure maternelle et plus généralement du care dans la Horde du Contrevent ou alors la fausse badasserie de certaines héroïnes. Suis-je la seule à avoir cette impression de « cliché » à la lecture de certains livres de SF ?

Non tu n’es pas la seule.
C’est d’ailleurs un des reproches que l’on fait le plus souvent à la fantasy (j’ai aussi fait une vidéo là-dessus). La représentation des femmes, reléguées aux rôles bien connus de la mère ou de la putain, la présence d’elfes, de nains, de dragons, stigmatisent beaucoup ces genres à de la littérature clichée et enfantine dans l’imaginaire des non-lecteurs. Et je le comprends. SF et fantasy ont connu un âge d’or des années 1970 aux années 1990 incluses durant lesquelles ces clichés étaient bien présents. Il faut aussi se remettre dans le contexte d’une époque où la littérature de genre était écrite par des gens qui en lisaient, uniquement pour des gens qui en lisaient ou presque. Il y avait un effet de groupe un peu caché, on était aficionado ou on ne l’était pas et les auteurices ne faisaient pas beaucoup d’efforts pour se décloisonner (utilisation de jargon spécifique etc.). Cette vision du lecteur de SF a perduré.

En ce qui concerne les clichés, ils sont nécessaires. Tous les genres ont des clichés mais seule la SFFF en pâtit. Bizarrement, il ne viendrait à personne de conspuer les romances ou les policiers alors que dans ces deux genres, il y a toujours une histoire d’amour avec quiproquo et des meurtres, récurrents, À CHAQUE FOIS. Les clichés forment le genre et ils ne sont pas tous mauvais. J’adore les histoires de héros faisant l’objet d’une mystérieuse prophétie et c’est un trope qu’on voit par milliers. Le souci, ce n’est pas le cliché, c’est la façon dont il est traité. Un cliché traité de façon originale sera toujours plus intéressant qu’une idée « originale » mal traitée.

D’un point de vue de la représentation des femmes, on retrouve encore les schémas d’une époque qui a vu l’émergence du genre où peu de femmes écrivaient (rappelons que Robin Hobb a pris un nom volontairement androgyne pour être publiée, de même que Alice B. Sheldon, auteur de Science-Fiction qui a fait de même en prenant le nom de James Tiptree, Jr.) dans un milieu géré par des hommes, avec tout le sexisme que cela comprend et engendre. Oui ces clichés ont existé. J’adore Damasio mais effectivement sa vision des femmes est assez réductrice, il n’en reste pas moins un fabuleux créateur d’univers. Même combat pour Pierre Bordage, une imagination débordante mais que de platitude au niveau de ses personnages qui sont toujours très archétypaux (bons et purs au-delà du raisonnable et qui gagnent toujours).

Cependant je trouve que la nouvelle génération d’auteurices se détache totalement de ces clichés et c’est pour ça que je suis toujours crispée d’entendre que la SF ou la fantasy sont des lectures clichées. La diversité est de plus en plus présente (Nathalie Dau, Estelle Faye, Adrien Tomas et j’en passe). Cette fausse badasserie que tu évoques, je la retrouve surtout dans les œuvres anglo-saxonnes (schwab, Sarah J. Maas) qui pour le coup se diversifient moins que la littérature française qui a son style propre et qui n’a pas peur de prendre des risques.

Plus généralement, pour toi, que dit le discours de la SF sur les femmes, le féminisme ?

Je ne sais pas si la SF dit quelque chose sur les femmes ou les hommes en particulier. Je pense que chaque œuvre est le reflet de l’époque où elle a été produite.
Par exemple dans le Seigneur des Anneaux (et pire dans le Hobbit) il n’y a presque aucune femme. Cela peut paraître misogyne mais dans le contexte de l’époque ce n’est guère étonnant. Tolkien vivait dans un monde d’hommes, où les érudits étaient des hommes, il a fait la guerre avec des hommes (et on le retrouve dans une réplique qui m’avait beaucoup marqué d’Eomer à Eowyn quand il lui dit que « la guerre est une affaire d’hommes ») ; même s’il renverse certains clichés de son époque avec le personnage d’Eowyn, qui reste malgré tout sous-développé.

Toutes les œuvres ne sont pas et ne peuvent pas être engagées. Cependant, lorsque l’on se penche de plus près sur la représentation des femmes en SF, on ne peut nier qu’elles sont un peu passées à la trappe. Sauf quelques exceptions comme La Main gauche de la nuit d’Ursula Le Guin, Les femmes de Stepford d’Ira Levin, ou La Servante écarlate de Margaret Atwood, les femmes sont rarement les actrices principales de ces genres, majoritairement écrits par des hommes, ne l’oublions pas. Dans la SF, je vois surtout la vision de chaque époque que les hommes avaient de l’autre moitié de l’humanité, peut-être parce qu’ils le pensaient, ou qu’on leur avait tellement répété que la place des femmes était à la maison et pas dans un vaisseau spatial qu’ils avaient fini par l’intégrer. Le plus grand « ennemi » du féminisme c’est l’intégration par l’éducation au final. Et cela se répercute dans les livres. Aujourd’hui, je suis de plus en plus choquée de réaliser que certaines œuvres que j’avais aimé jeune ou des œuvres de jeunesse récentes promulguent des pensées machistes ou sexistes (slutshaming, mauvaise image de femmes, compétition « naturelle » entre les femmes pour les hommes, etc.). Nos jeunes lisent ça et si c’est assez normal pour être publié et donc intégré, ils vont reproduire ces schémas.

La SF jusqu’aux années 1990 dit ce que toutes les femmes qui ont défilé dans la rue pour défendre leurs droits ont dit : dans un monde gouverné par des hommes, la femme dérange et est reléguée au statut de faire-valoir. Mais on ne peut pas taire la moitié de l’humanité indéfiniment et des autrices (et des auteurs aussi) se battent pour leur représentation et aujourd’hui, de plus en plus de femmes écrivent de la SF et n’ont plus peur de donner leur vision des choses.

En tant que femme, est-ce que tu te considères comme féministe ? Est-ce une cause que tu veux défendre ? Y a-t-il d’autres causes qui te tiennent à cœur ?

Je me considère totalement comme féministe. J’ai fait des études scientifiques, je sais donc comment sont traitées les femmes dans un monde d’hommes à niveau de compétences égales. Le féminisme est une cause qui me tient à cœur, tout comme l’empouvoirement des femmes, leur présence dans des sphères ou métiers dits masculins (allez faire des sciences les filles ! N’ayez pas peur, vous êtes tout aussi intelligentes et capables que les hommes et sûrement plus même), et la lutte contre le harcèlement scolaire, parce que j’ai connu ça et je sais que c’est difficile.

Quelle est la question que tu aimerais qu’on te pose en commentaire sous tes vidéos mais que personne ne te pose ? Et quelle est la réponse à cette question ?

Ahaha excellente question ! Aucune idée, si je vais bien ? Je répondrais certainement que je suis fatiguée mais que ça va.

Quels sont les conseils que tu donnerais à celleux qui aimeraient se lancer dans une chaîne YouTube ?

Lancez-vous ! Qu’est ce qui peut vous arriver de pire que de découvrir un monde fabuleux, rencontrer de nouvelles personnes incroyables ? Mais quoiqu’il arrive faites-le pour vous. Je pense que se lancer sur YouTube pour trouver la « gloire » c’est hors des réalités, on est tellement à se lancer tous les jours. Soyez créatif·ve·s, soyez vous-mêmes, ne vous forcez pas et ne vous bridez pas.

Quel genre de commentaires reçois-tu sous tes vidéos ? Comment gères-tu les relations avec les spectateurices ?

La plupart du temps, je reçois des commentaires en lien avec la vidéo. Parfois je reçois des petits messages me disant qu’on a lu tel livre grâce à moi et ça me met du baume au coeur d’avoir fait découvrir des lectures aux autres.

J’ai reçu quelques commentaires insultants aussi, j’ai essayé de répondre calmement mais les gens sont d’une violence inouïe bien cachés derrière leurs écrans donc maintenant je dis « merci, bisous » ou je supprime si c’est trop violent.
Je reçois parfois des messages privés un peu bizarres/limites, dans ce cas-là pareil : si c’est ambigu je rétablis la situation, sinon je bloque. Mais j’ai de la chance et une belle communauté qui me fait beaucoup de recommandations de bouquins et m’envoie surtout des mots d’encouragement !

Pour le reste, j’essaie de rester aussi accessible que possible car je suis juste une nana lambda qui parle de ses lectures et de livres en général, rien de fou quoi, mais j’essaie de garder ma vie privée, privée.

As-tu des projets annexes en plus de ta chaine YouTube ?

Je suis autrice avant d'être youtubeuse (ou booktubeuse) donc j’ai mes projets d’écriture à côté de la chaîne qui me prennent pas mal de temps, et la vie en général.
Sinon en parallèle de ma chaîne, je participe à divers projets réunissant des booktubeurs autour d’un thème commun et notamment le FéminiBooks, un projet autour du féminisme sur youtube et en littérature durant lequel, chaque jour pendant un mois, un(e) booktubeur/se diffèrent présente un livre/une oeuvre autour du féminisme. Lors de la première édition de Mars, j’avais décidé de prendre le thème à contre courant en montrant des livres qui en 2017 propagent encore des valeurs nauséabondes et bien sexistes. Une nouvelle édition est prévue en juin.

Une vidéo que je souhaiterai mettre en avant est celle sur la fausse opposition entre Sciences et Lettres, qui me tient à coeur parce que je suis issues de ces deux cultures et que j’ai encore trop l’impression qu’aujourd’hui on pense qu’on ne peut faire que l’un ou l’autre :

Publications de Flo Bouquine :
Rouille, Scrineo, Mai 2018
Panem et circenses, Etherval n°10 Adamentis, Les métaux, Mai 2017
Foudre, Anthologie Routes de légende, Légendes de la route, Janvier 2017
La petite Reine, Revue Nouveau Monde (internet), Septembre 2016
Jeux d’enfants, anthologie Maisons Hantées, Avril 2015
Les promenades nocturnes, « Ex machina », collectif du Salon fantastique, Éditions Elenya 2014
Celui dans l’ombre, Absinthe n°8, 2014
Danse Mécanique, Prix Nautilus Geekopolis 2014
Sadie, association des Arts Imaginés Ter Aelis, 2014