
Je me suis toujours demandé d’où venait la grossophobie et comment elle pouvait autant durer. Pourquoi des gens se détestent et pourquoi d’autres les détestent ?
En me penchant sur les films et séries qui ont accompagné mon enfance (entre les années 1980 et 2000), j’ai réussi à saisir une partie du problème.
Le cinéma, un peu paresseux, ne s’est pas embarrassé à créer des personnages aussi variés qu’il n’y a de personnes sur Terre. Il a utilisé des clichés, en a inventé et en a beaucoup répandu.
Martine McCutcheon, dans Love Actually (2003).
Voici une liste des clichés que véhiculent le petit et le grand écran :
Rien de rassurant donc.
Quand l’on expose des personnes en pleine construction à des choses répétitives, elles assimilent ces dernières comme étant des vérités.
Queen Latifah, dans Chicago (2002).
Un grand nombre de personnes grosses ont donc grandi avec les peurs de ne pas être aimées, d’être rejetées, d’être ridicules ou stupides, tout en étant convaincues qu’elles l’avaient mérité. Elles se sont empêchées de réaliser des choses quand elles en avaient envie car il leur paraissait évident que ça n’était « pas fait pour les gros·ses ». Pire encore, ces clichés ont encouragé des personnes dans des voies dangereuses pour leur santé.
Les films et les séries ne font pas qu’imposer aux personnes grosses la vision qu’elles doivent avoir d’elles-mêmes, iels ont incité le reste des gens à les traiter d’une certaine façon.
Mais si, vous voyez de quoi je veux parler ; toutes les moqueries, toutes les remarques qui ne sont jamais condamnées à l’écran :
Josiane Balasko, dans Le Hérisson (2009). Crédits : Pathé Films.
Josiane Balasko et Togo Igawa, dans Le Hérisson (2009). Crédits : Pathé Films.
Ce sont des phrases répandues dans les films qui ont déteint sur le quotidien. Elles font passer le poids d’une affaire strictement personnelle à une affaire publique et donnent une sorte de légitimité aux insultes grossophobes.
Tous ces clichés ne s’arrêtent pas à la stricte limite du body-shaming. Dans cette mécanique complexe, un « homme gros » aura moins de soucis à trouver l’amour, mais attention, seulement s’il est drôle. Car s’il y a une chose que beaucoup de films nous ont « appris », c’est que sortir avec un gros est moins honteux que de sortir avec une grosse.
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On note également au passage l’aspect dichotomique qui règne dans les films. Soit on est gros·se, soit on ne l’est pas. L’entre-deux n’existe pas vraiment, ou seulement pour présenter quelqu’un de relativement « normal·e » comme étant gros·se.
Sans oublier le tabou créé autour du mot « gros·se » . Devenu l’insulte ultime, ce qualificatif tout simple a dû laisser sa place à des mots comme « pulpeuxe », « en chair », « rond·e », « avec des formes », « bien charpenté·e ».
Le cinéma ne s’est pas inspiré de la réalité : les gros·ses ne sont pas plus bêtes que les autres et iels ne sont pas des « sous-humain·es ». Mais à force de toujours montrer les mêmes clichés, de les répéter, ils gagnent une place dans la réalité (sorte d’effet Golem et de méthode Coué).
À présent, au nom du réalisme, ces clichés-réalités ne sont que rarement démenti·es. Et si le cinéma tend à se diversifier, il faudra encore du temps pour guérir plusieurs générations de personnes, encore convaincues qu’elles sont des merdes parce qu’on les a définies comme telles à l’écran.
En attendant, il ne faut pas hésiter à répéter et à se répéter que ce sont des fictions et se concentrer sur des films avec des personnages un peu plus inspirants :
Toni Colette, dans Muriel (1994).