14 novembre 2016

Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus et les castors du Nebraska : stéréotypes de genre et tests de personnalité

Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus et les castors du Nebraska : stéréotypes de genre et tests de personnalité

Le 15 septembre dernier a été mis en ligne un de ces fameux sites Web permettant de « mesurer votre niveau de masculinité et de féminité ». Il a été créé dans le cadre de l’émission Mariés au premier regard par Stéphane Edouard, bien connu des plateaux de télévision et consultant de l’émission. Apparemment expert autoproclamé du couple, il est l’auteur d’un livre de conseils sur « comment séduire une femme » et d’une série de vidéos sur Youtube où il apprend notamment aux hommes « comment dresser leurs femmes » (une vidéo passée aujourd’hui en privé  [1]).

Présenté par son auteur comme « complet » et « original », ce test est composé de 25 questions proposant chacune deux choix. Parmi celles-ci, nous pouvons par exemple citer :

Capture d’écran du test : « Avez-vous le sens de l’orientation ? Oui ou non ».

Capture d’écran du test : « Quand un objet que vous utilisez tombe en panne, vous demandez de l’aide ou vous cherchez la panne ? »

Vous le voyez arriver avec ses gros sabots en plomb ?

À l’issue de ce test, une fiche avec les résultats apparaît. Sur cette dernière, en fonction de vos réponses aux questions, il est mentionné votre pourcentage de pensées « masculines » et de pensées « féminines », avec en dessous les caractéristiques attribuées soit à l’une soit à l’autre. Autant vous dire tout de suite : c’est assez édifiant.

Capture d’écran des résultats poussés du test détaillant les différences d’intelligences entre les hommes et les femmes.

Des tests du même genre fleurissent par dizaines sur la toile. Certains proposent de savoir « qui fait l’homme dans le couple » ou « qui porte réellement la culotte à la maison », d’autres plus subtils ont pour objectif de déterminer les parts de féminin et de masculin qui sont en vous par le biais du yin et du yang. La philosophie chinoise, cela fait tout de suite plus sérieux.

Ces tests nous posent deux gros problèmes. En premier lieu, les questions ainsi que les résultats se basent sur une série de stéréotypes de genre. Par exemple, comme la femme aurait davantage une intelligence émotionnelle que pratique, elle préfèrerait être secourue plutôt qu’être autonome, aurait un sens inné de la famille et ne serait pleinement épanouie qu’au sein du couple (hétérosexuel), il serait donc logique qu’elle se perde régulièrement en forêt, qu’elle ne puisse pas changer une ampoule toute seule et que l’accomplissement de sa vie soit son couple et ses enfants.

Et là, on en vient au second problème. Ces tests érigent ces stéréotypes de genre en grande vérité générale, comme si ces caractéristiques étaient en effet inhérentes à chaque homme et à chaque femme. Autrement dit, les hommes auraient un sens inné de l’orientation, les femmes seraient naturellement plus sensibles que les hommes et possèderaient dans leur code génétique le mode d’emploi de la machine à laver et du fer à repasser, etc. Or, l’évocation de la nature et de la biologie comme moyen de justification de ces différences entre les sexes n’est pas nouvelle : elle était déjà critiquée à la fin des années 1940 par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (eh oui, tout cela ne nous rajeunit pas). Bien commode, elle évite surtout une chose : toute critique des inégalités existantes entre les hommes et les femmes.

La femme, cette cruche

Bien qu’il n’y ait aucun problème à se retrouver dans certaines des caractéristiques « féminines » du test, on peut reconnaître, en en faisant la liste et surtout en les opposant aux caractères « masculins » qui sont proposés, qu’elles dressent un portrait peu flatteur de la femme à 100 % : elle n’est pas autonome, se fie à la popularité d’un produit plutôt qu’à ses caractéristiques techniques, fait attention à son apparence et n’a pas confiance en elle tant qu’on ne l’a pas rassurée. Bref elle a besoin de l’homme, car lui ne se perdra pas, il réparera le lave-vaisselle, portera les trucs lourds, l’empêchera de suivre son instinct et lui mecspliquera en douceur les raisons logiques de choisir la télé Machin plutôt que Truc. On reconnaît sans peine dans ces clichés la philosophie de son créateur qui explique aux hommes qui veulent « apprendre à séduire » que les femmes sont gouvernées par les émotions et que « le seul moment où elle se souviendra comment compter, c’est pour te prendre 50 % de tes biens lors du divorce. Là, curieusement, l’art de la division leur revient. » Humour.

Capture d’écran du test : « Réussir son couple et ses enfants, c’est la chose la plus importante dans la vie ? Oui ou non ».

En fouillant sur le site de l’auteur, on tombe sur les 15 qualités que doit obligatoirement posséder la femme parfaite. Curieusement (non), on retrouve parmi les défauts que l’épouse idéale ne doit surtout pas avoir certains des choix « féminins » du test. Il est donc clair que pour Stéphane Edouard, nombre de caractéristiques purement « féminines » sont négatives, à éviter lorsqu’on est un homme cis hétéro à la recherche de l’amour de sa vie. De là à dire que la femme est globalement mauvaise par essence et on n’y peut rien ma bonne dame (c’est la nature que voulez-vous), il n’y a qu’un pas.

Au vu des questions de ce test, des clichés de genre évidents sur lesquels il se base, on pourrait se dire : « voilà encore un test un peu pourri sorti du fin fond d’Internet », mais il faut se rappeler que son créateur a une présence télévisuelle en tant qu’expert. On peut lire sur son site Sociologue diplômé de l’IEP de Paris, spécialité groupes et dynamiques sociales. Cette assise scientifique et sa présence dans l’émission de M6 lui donnent de la crédibilité et valident en quelque sorte les stéréotypes de son test : « Tu vois chérie, les femmes ne sont pas capables de se débrouiller seules, c’est un sociologue qui l’a dit. »

Rappelons-le : la seule personne qui peut déterminer si vous vous sentez femme, homme, ni l’un·e ni l’autre ou quelque part sur le spectre du genre, c’est vous. Aucun test, aucune statistique ne pourra déterminer votre pourcentage de féminité ou de masculinité. Même les plus pointus d’entre eux (et celui que nous présentons aujourd’hui n’en fait clairement pas partie) ne peuvent pas décider pour vous ce qui vous appartient totalement.