27 mars 2017

La proportion de femmes dans les Parlements : le rôle des systèmes électoraux

La proportion de femmes dans les Parlements : le rôle des systèmes électoraux

On nous bassine énormément avec les élections présidentielles en France qui approchent à grands pas, mais on oublie souvent que ce n’est pas la seule occasion pour laquelle les Français·es ayant le droit de vote seront appelé·es aux urnes cette année. En effet, au mois de juin, ce sera au tour de nos député·es d’être renouvelé·es. Et si j’utilise le français épicène par conviction, quand on parle de notre Parlement, on ne peut pas nier que c’est le masculin qui l’emporte… Même dans un pays qui accroche « Égalité » au-dessus des portes de ses écoles, on peine à avoir un tiers de parlementaires femmes. Et on sera obligé·es de ne prendre en compte que les deux genres binaires, puisque les études et statistiques sur la question effacent joyeusement les personnes non binaires.

Si on se doute que le patriarcat a quelque chose à faire là-dedans, on va ici surtout s’intéresser à quelques mécanismes en particulier.

Pour commencer, rappelons quelques bases de science politique. Dans les démocraties occidentales, le pouvoir est divisé en trois branches : le pouvoir législatif qui conçoit et vote les lois, le pouvoir exécutif qui est en charge de leur application et le pouvoir juridique qui vérifie qu’on les respecte et sanctionne si ce n’est pas le cas.

Ce que l’on nomme un Parlement, c’est l’ensemble des personnes choisies pour exercer le pouvoir législatif. La majorité des systèmes ont un Parlement composé de deux parties : une chambre dite haute et une chambre dite basse. Si leurs rôles respectifs et leurs relations peuvent être très varié·es, il y a une constante : la chambre basse représente le peuple dans son ensemble et est élue au suffrage universel direct. Elle est supposée être l’organe le plus représentatif. Les chambres hautes traduisent d’autres intérêts plus spécifiques qui diffèrent selon les nations : les États fédérés, les collectivités territoriales, des secteurs d’activité…

Puisqu’elles sont censées être plus proches du peuple et plus représentatives, c’est uniquement aux chambres basses que l’on va s’intéresser. Et puisqu’une approche comparative est toujours instructive, on va regarder comment ça se passe à travers l’Europe en ce qui concerne l’égalité des genres. Je ne vais pas laisser le suspens planer trop longtemps, ça ne se passe pas très bien. En 2013, les femmes ne représentaient en moyenne que 30 % des député·es en Europe, si on en croit la Fondation Robert Schuman. Comme toutes les moyennes, elle cache en fait de grosses disparités. Si la Finlande compte 43 % de députées, on tombe à tout juste 8,7 % à Malte. Il y a trois façons d’expliquer cela : les facteurs culturels (les représentations genrées au sein de la société), les facteurs socio-économiques (les positions sociales et les niveaux de revenus des femmes dans une société donnée) et les facteurs institutionnels (les structures politiques définies par le droit public).

Dans cet article, nous nous intéresserons seulement à la troisième catégorie de facteurs.

Dis-moi à quoi ressemblent tes bulletins de vote, je te dirais combien de femmes seront élues

Même si l’histoire de chaque pays européen a façonné des institutions qui lui sont propres, en ce qui concerne les élections législatives, on peut les catégoriser en deux types de systèmes. D’un côté, les systèmes proportionnels où chaque parti obtient un nombre de sièges en fonction du nombre de voix qu’il reçoit. C’est le système le plus répandu, on le trouve par exemple en Espagne, en Autriche ou en Finlande. De l’autre, les systèmes majoritaires où læ candidat·e avec le plus de voix ou plus de la moitié des votes exprimés obtient le siège. En Europe, c’est le cas de la France et du Royaume-Uni. Certains pays combinent les deux, comme l’Allemagne : on appelle cela des systèmes mixtes.

Si on regarde le pourcentage de femmes dans les chambres basses des parlements nationaux à travers le monde en fonction du système électoral choisi, le résultat est très clair : c’est presque deux fois plus dans les systèmes proportionnels que dans les systèmes majoritaires (en 2000, 15,4 % contre 8,5 %)  [1]. Mais pourquoi donc ?

Si on jette un œil à un bulletin de vote dans un système proportionnel, pour chaque circonscription, on doit y choisir une liste de candidat·es. Dans un système majoritaire, il faut voter pour une seule personne. Ce que ça change, ce sont les stratégies des partis : on ne choisit pas de la même façon un·e seul·e candidat·e par district qu’une liste de candidat·es.

Dans les deux cas, l’objectif des partis est de permettre à un éventail toujours plus large de citoyen·nes de s’identifier au parti, afin de recueillir leur vote.

Du côté des systèmes proportionnels, cela va souvent passer par la volonté de composer une liste comprenant des représentant·es des principaux groupes sociaux, et donc des femmes. De plus, malgré le poids qu’a toujours le patriarcat, on ne peut pas nier que l’attention, même maladroite, portée aux droits des femmes ne fait qu’augmenter en Europe. Plus les candidat·es sont nombreuxes et plus on remarque facilement l’omniprésence des hommes. Par conséquent, une liste composée exclusivement d’hommes paraît facilement conservatrice voire rétrograde  [2].

En revanche, ces critères ne peuvent pas rentrer en compte lorsqu’il faut choisir une seule personne. Puisque nos sociétés présentent l’être humain de base comme un homme cisgenre (et hétéro, et blanc…) et qu’on suppose qu’il est plus facile pour une femme de s’identifier à un homme que l’inverse, le choix se portera plus facilement vers un homme. De plus, on va davantage s’intéresser aux caractéristiques individuelles des candidat·es potentiel·es. Et comme par hasard, ce sont les enfants assigné·es garçons qu’on encourage à développer leur charisme ainsi que leur capacité à parler en public ou à se mettre en avant  [3].

Bulletin de vote de l’État de Californie (États-Unis).

Une question de contagion

Enfin, les systèmes proportionnels favorisent la prise en compte de nouveaux enjeux à travers le processus de contagion. Pas question de microbes ici, il s’agit tout simplement du fait que lorsqu’un parti trouve une stratégie électorale efficace, d’autres partis décident de l’imiter pour ne pas risquer de perdre des voix en faveur de ce parti.

Si le processus de contagion existe dans tous les systèmes, il est plus efficace et rapide dans les systèmes proportionnels pour deux raisons. Tout d’abord, les systèmes proportionnels engendrent généralement davantage de partis de taille moyenne, alors que les systèmes majoritaires ont tendance à encourager le maintien de deux gros partis (c’est le cas au Royaume-Uni ou, dans une moindre mesure, en France). En effet, puisqu’il peut y avoir plusieurs vainqueureuses, la notion de « vote utile » (voter pour un parti qu’on sait avoir de fortes chances de gagner) est beaucoup moins présente. Par conséquent, il y a plus de chances qu’un parti pris au sérieux décide de se saisir d’une cause, par exemple la représentation des femmes. Ensuite, perdre quelques votes compte davantage dans un système proportionnel que dans un système majoritaire puisque quelques points de pourcentage ont un impact direct sur le nombre de sièges obtenus, alors que dans un système majoritaire la seule chose qui compte est d’avoir plus de points que les autres  [4].

On peut illustrer ça avec le cas de la Norvège, pays avec un système proportionnel. En 1973, la Gauche Socialiste (Sosialistisk Folkeparti), petit parti, a obtenu le nombre le plus élevé de sièges de leur histoire (environ 10 %) avec une campagne prenant en compte les enjeux sexistes. Au même moment, le parti Libéral (Venstre), un des plus anciens partis norvégiens, essuyait une défaite cuisante. Et c’est autour des droits des femmes qu’iels ont reconstruit leur ligne politique, allant jusqu’à adopter des quotas au moment où la Gauche socialiste a formalisé ses pratiques de « discrimination positive » (c’est une mauvaise traduction et on devrait plutôt dire « mesures réparatrices ou correctrices »). Le parti Travailliste (Det norske Arbeiderparti) puis le Centre (Senterpartiet) ont suivi dans les dix années suivantes.

Au contraire, au Royaume-Uni, système majoritaire, les premières mesures de « discrimination positive » ont été prises en 1993 par le Parti travailliste (Labour Party)), il a fallu attendre 2005 pour que les Libéraux (Liberal Party) fassent de même et à ce jour, le Parti conservateur (Conservative and Unionist Party) n’a fait aucun mouvement dans ce sens  [5].

En parlant de quotas…

Vous vous êtes peut-être fait la réflexion dès le début de l’article que l’existence ou non de mécanismes de mesures correctrices (c’est-à-dire le fait de favoriser les groupes confrontés à des obstacles systémiques, ce qu’on appelle souvent à tort de la « discrimination positive ») devait jouer énormément. Oui… et non.

Tout d’abord, le fonctionnement même du système majoritaire rend difficile l’implémentation de quotas. Puisqu’on ne peut sélectionner qu’un·e candidat·e par circonscription, il est impossible de représenter les deux genres binaires au niveau local.

Évidemment, on peut contourner le problème sans avoir à changer le système électoral. Par exemple, le Parti travailliste écossais (Scottish Labour Party ou Pàrtaidh Làbarach na h-Alba) a mis en œuvre pendant un temps un système de jumelage entre circonscriptions électorales qui devaient choisir ensemble leurs candidat·es de façon à en avoir un·e de chaque genre binaire  [6]. On peut aussi agir au niveau du bassin des candidat·es, comme l’a fait le Parti travailliste britannique (Labour Party) qui a imposé à certaines branches locales de choisir leur candidate parmi une liste entièrement composée de femmes. Ces deux mécanismes correctifs ont été proposés par les partis eux-mêmes, mais certains pays l’ont imposé juridiquement. C’est le cas notamment de la France qui condamne à une sanction financière les partis n’ayant pas un nombre équilibré de candidats et de candidates au niveau national.

Cependant, il y a une limite assez évidente à ces mécanismes : cela ne peut concerner que les partis présents sur l’ensemble du territoire national et ayant une forte centralisation. Pour un parti dont les branches locales ont une autonomie importante ou n’existant que sur très peu de territoires, il est presque impossible d’appliquer un de ces mécanismes.

Dans les systèmes proportionnels, les quotas sont appliqués aux listes de candidat·es dans chaque circonscription. Par conséquent, les effets en sont significatifs. En Slovénie, la loi fixe un quota à 35 % et c’est 36 % des parlementaires qui sont des femmes. En Norvège, la plupart des partis se sont imposés un quota de 40 % et c’est exactement la proportion de femmes députées.

Mais au-delà des différences entre les mécanismes correctifs envisageables dans un ou l’autre système, le facteur le plus déterminant est l’existence ou non de conséquences pour les partis ou les listes qui n’obéissent pas aux lois à ce sujet. La loi sur la parité en France, évoquée plus haut, a eu un effet très décevant : seulement 26,9 % des député·es étaient des femmes en 2014. Tout simplement parce que pour les gros partis, il est plus simple de payer une amende que d’inclure des femmes… La sanction n’est pas vraiment contraignante. Au contraire, en Slovénie, les listes qui ne respectent pas le quota légal se voient purement et simplement rejetées  [7]. Ça calme.

Sources

[1] Norris, P. (2004) « Chapter 8: Women’s Representation », in Electoral Engineering: Voting Rules and Political Behavior. Cambridge : Cambridge University Press. p. 179-208.

[2] Matland, R.E. (1998) « Women’s Representation in National Legislatures: Developed and Developing Countries », Legislative Studies Quarterly, 23(1), p. 109-125.

[3] Lovenduski, J., Norris, P. (1989). « Selecting Women Candidates: obstacles to the feminisation of the House of Common », European Journal of Political Research, 17, p. 533-562.

[4] Matland, R.E., Studlar, D.T. (1996) « The Contagion of Women Candidates in Single-Member District and Proportional Representation Electoral Systems: Canada and Norway », The Journal of Politics, 58(3), p. 507-533.

[5] Krook, M. (2009) Quotas for Women in Politics: Gender and Candidate Selection Reform Worldwide. Oxford Scholarship Online.

[6] Kenny, M., Mackay, F. (2013) « When Is Contagion Not Very Contagious? Dynamics of Women’s Political Representation in Scotland », Parliamentary Affairs, p. -21.

[7] Dahlerup, D., Friedenvall, L. et al. (2008), Electoral Gender Quota Systems and their Implementation in Europe, à la demande du European Parliament’s Committee on Women’s Rights and Gender Equality (Commission du Parlement européen aux droits des femmes et à l’égalité des genres).