
Swatiska Night est une œuvre d’anticipation écrite en 1937 par Katharine Burdekin sous le pseudonyme de Murray Constantine. Dans ce livre, elle nous montre ce que pourrait être l’espèce humaine, 700 ans après la victoire des Nazis lors de la Seconde Guerre mondiale.
Swatiska Night n’a été traduit en langue française qu’en 2016, presque 80 ans après sa publication !
L’autrice a anticipé la Seconde Guerre mondiale, qui ne commence que deux ans plus tard avec l’invasion de la Pologne, dans cette œuvre de science-fiction. Mais il était déjà à cette époque clairement visible que les Nazis ne voulaient pas le bien de toute l’humanité.
Katharine Burdekin nous invite donc à imaginer le monde, 700 ans après la victoire des Nazis lors de la « Guerre de Vingt Ans »
évoquée dans son livre.
La société européenne est sous le contrôle de l’Allemagne et divisée en classes hiérarchisées : les hommes nazis, les hommes des peuples vaincus, les femmes puis les chrétien·nes, hommes puis femmes. Cette hiérarchie est militaire et parmi les Nazis, on trouve les chevaliers, les officiers, nobles de manière héréditaire, au-dessus des allemand·es « ordinaires », le peuple. Les hommes des peuples vaincus sont dominés par l’idéologie et la religion hitlériennes (voir plus bas). Il existe quelques mécanismes d’oppression comme l’accès interdit à certains métiers et certains privilèges, mais cette caste n’est pas la plus opprimée. Les femmes, esclaves sexuelles et reproductrices, sont parquées en dehors des villes et méprisées par tous les hommes. Les chrétien·nes, seul·es à ne pas suivre la religion hitlérienne, sont un peuple en dehors de cette société, à peine toléré·es.
Le monde est coupé en deux, sous domination nazie d’un côté et japonaise de l’autre. La société japonaise est représentée comme une copie de la société nazie.
Un des protagonistes, Hermann, est un nazi amoureux d’un anglais, Alfred. Ses sentiments sont creusés dans le livre, non en raison de l’homosexualité d’Hermann, mais parce que ses sentiments pour un hitlérien étranger le torturent, ils seraient « une faille dans son sentiment de supériorité raciale »
.
Dans la religion hitlérienne, Hitler, idolâtré et idéalisé, est plus ou moins considéré comme le fils du « Dieu qui Tonne »
, il en serait né « Explosé »
. Ce vocabulaire guerrier est présent dans toute la religion, des prières à l’esthétique.
Selon la religion, Hitler n'aurait jamais côtoyé de femmes, ces êtres méprisables et impurs. Cela donne le ton, n’est-ce pas ?
Elles ne sont pas même considérées comme des êtres humains, elles n’auraient pas d’âme. Réduites à leur fonction procréatrice, parquées dans des camps et violées afin de « perpétuer la race », leur condition est peu enviable. Leurs fils leurs sont confisqués à 18 mois pour ne pas qu'elles les souillent, et « lorsqu'elles ne [peuvent] plus porter d'enfants, pourquoi leur donner plus que le strict nécessaire à leur survie ? »
(comprendre : les plus vieilles meurent pratiquement de faim).
La procréation est tellement déshumanisée qu’elle est encadrée par des règles : les hommes nazis sont punis s’ils n’ont pas d'enfant avant 30 ans, les naissances sont suivies statistiquement, il est absolument interdit d’avoir une relation sexuelle avec une chrétienne.
Après une telle description, vous me demanderez probablement : « Pourquoi devrais-je m’infliger cette lecture qui m’a l’air tout sauf joyeuse ? »
Et bien, tout d’abord, ce n’est pas exactement le propre de la science-fiction d’être joyeuse, et de nombreuses autres œuvres dystopiques déploient des mondes aussi attrayants que celui-ci. La science-fiction, c’est s’éloigner de sa propre société pour mieux la dénoncer, en dénoncer les travers. Katharine Burdekin, en appuyant sur ce statut des femmes dans son livre, nous tend le miroir pour nous y montrer la société patriarcale et phallocrate de l’Angleterre des années 1930. Et par extension, nous pouvons y voir le reflet de la société patriarcale actuelle, qui y ressemble encore par bien des aspects : oppression systémique des minorités, des femmes, etc..
Une autre réflexion amenée par cette œuvre porte sur la maxime « l’histoire est écrite par les vainqueurs ». Dans ce monde, les humain·es ne connaissent pas l'histoire d'avant la victoire, qui fut volontairement effacée par les Nazis eux-mêmes environ 100 ans après Hitler. Le seul art restant est la musique (potentiellement en écho à l’attrait des Nazis pour Wagner et ses opéras, notamment) ; les seuls livres restants sont la « Bible Hitler » et la littérature technique.
Les protagonistes comprendront au fur et à mesure du livre ce qu’il s’est passé pendant ces 700 années, et apprendront l’histoire qui les précède. Ce bouleversement tient une place importante dans le livre, et est presque plus développé que tout ce qui a trait aux femmes.
Mais Alfred investira sa fille de privilèges masculins, geste fort mais aussi faible à la fois, « un gland qui germera pour faire vaciller l’Allemagne »
.
« [I]l fallait marteler sans cesse ceci aux plus jeunes : elles devaient accepter le viol comme un acte naturel. D’ailleurs, ce n’était pas le mot que le chevalier employait, le viol n’étant un crime que lorsque les filles étaient mineures. Du reste, comme le chevalier le savait, ce n’était pas pour le bien des filles mais pour celui de l’espèce. Violées, les filles encore adolescentes risquaient de mettre au monde des bébés fragiles. Après seize ans, les femmes atteignaient l’âge adulte ; leur corps était pleinement développé, le danger était donc passé. Le viol impliquant volonté, liberté de choix et résistance de la part des femmes, ce crime n’existait pas en Allemagne. »
Ce livre m’a glacée à la première lecture. Il est plein de désespoir : condition des femmes, fin de l’espèce humaine, etc. Mais sa fin laisse entrevoir une possibilité de rédemption, une étincelle sous la braise, et je suis plus à l’aise avec ce livre maintenant que je l’ai relu.
Titre : Swatiska Night
Autrice : Katharine Burdekin (Murray Constantine)
Éditions : Piranha, Pocket
Genre : science-fiction
Nombre de tomes : 1
Pages : 316
Prix indicatif : 7,50 €
ISBN : 978-2-37119-052-8, 978-2-266-28054-9
Date de sortie originelle : 1937
TW : description de blessures, de violences sur mineur·es, sur femmes, pensées de meurtre assez détaillées, mentions de viols