Pour la troisième année consécutive, le 30 mars, a lieu le World Bipolar Day, ou Journée Mondiale des Troubles Bipolaires. Cette date a été choisie par les associations canadiennes en mémoire de l’anniversaire de Vincent Van Gogh, un des premiers malades qui fut médiatisé. Si aujourd’hui environ 7 % de la population mondiale est bipolaire, dont des grandes figures de réussite comme Carrie Fisher ou Winston Churchill, les troubles de l’humeur restent très stigmatisés. Les clichés sur l’instabilité, la dangerosité et la violence des patients ont la peau dure, de telle sorte que 75 % des patient·e·s finissent leur vie seul·e·s (célibataires sans enfants) et 70 % ne réussissent pas à se maintenir dans le monde du travail. Pourtant, peu de personnes comprennent réellement à quoi correspond vraiment ce trouble très compliqué à diagnostiquer (sept ans en moyenne). Suivez le guide !
Mon témoignage ici est double, car mon approche de la bipolarité a d’abord été extérieure. Ma mère, diagnostiquée bipolaire type 1 en 2010, a enchaîné les séjours à l’hôpital psychiatrique toute mon adolescence, et sa maladie m’a laissé des souvenirs qui ont rendu notre relation conflictuelle. J’ai donc d’abord connu « l’autre côté » de la maladie : supporter les sautes d’humeur, les crises suicidaires, les dépressions à répétition, l’agressivité, les délires maniaques, le comportement dangereux, etc. J’ai également été témoin du pouvoir sédatif des médicaments, du changement radical qu’ils peuvent engendrer chez quelqu’un·e (perte de créativité, passivité, attachement à la routine, hypersomnie…) et du parcours du combattant que cela peut être pour se faire bien soigner par des médecins. Puisqu’il y a des troubles de l’humeur sur trois générations de mon côté maternel et d’autres troubles côté paternel, la menace de devenir malade à mon tour a longtemps ressemblé à une épée de Damoclès au dessus de ma tête. Après des années de dépression chronique, ce sont un évènement traumatisant et la prise d’anti-dépresseur qui ont permis mon diagnostic en août 2015 : bipolaire type 2 à cycle rapide. Puisque décrire tout mon parcours serait trop long (si ça en intéresse, je pourrai toujours en faire un article à part), je vais me contenter de répondre à quelques clichés et avis extérieurs sur ma maladie.
« t’es trop bipolaire ! » : la réalité des variations d’humeur
Non, il ne m’arrive pas d’être extrêmement déprimé·e et très heureux·se l’instant d’après. Par contre, il m’arrive de commencer un mois en allant bien et de le terminer avec une tentative de suicide. Comprendre et suivre mes variations d’humeur est ce qui m’a le plus aidé à bien vivre mon trouble. Comme chez les gens normaux, la plupart du temps, les changements d’humeur sont provoqués par un événement : vous vous êtes fait·e larguer, alors vous êtes triste ; vous avez eu une bonne note, alors vous êtes heureux·se. Chez moi, cette logique est complètement fucked up. Par exemple, j’ai fini par comprendre que les phases d’hypomanie (les « up ») se déclenchaient en cas d’événement stressant ou bouleversant. Quand quelque chose de grave arrive et que mon humeur chute brutalement, mon cerveau panique et déclenche une montée rapide d’humeur qui dure quelques jours, comme un pare-feu. La crise qui m’a conduite à l’hôpital psychiatrique a par exemple eu lieu après les attentats du 13 novembre. Le contexte stressant et haineux d’état d’urgence qui en a résulté m’a poussé en crise hypomaniaque sévère avec des relents de paranoïa. J’avais décidé d’organiser un putsch anarchiste en passant la nuit devant la chaîne parlementaire pour dessiner des plans de l’assemblée et un moyen de s’en emparer. De manière générale, je ne réagis jamais de façon « normale » aux événements, et mes actions peuvent paraître décousues. Quand je sens quelqu’un s’éloigner de moi par exemple, au lieu de me sentir triste ou de vouloir faire un pas vers la personne, je plonge dans un état d’apathie violente et me détache émotionnellement en très peu de temps, étant capable de violence et froideur soudaine envers cette personne. Ces variations sont difficiles à suivre pour mes proches, mais encore plus difficiles à vivre pour moi, ce qui m’amène au point suivant.

Please Like Me (série australienne) et ses personnages atteints de troubles de l’humeur
« Je l’aime pas, iel est trop imprévisible » : une énergie en mode aléatoire
L’aspect le plus handicapant au quotidien, c’est l’énergie que me prend ma maladie : ne jamais savoir en avance dans quel état on sera dans un mois, deux semaines, ou même le lendemain est épuisant. Mon nombre de cuillères est tout le temps aléatoire (la théorie des cuillères expliquée) et sujet à de brusques variations au cours d’une journée. Certaines journées, sortir de mon lit et prendre mon petit déjeuner me coûte toute ma réserve, et je ne peux même pas passer la porte de mon appartement. Quand je sens que j’ai beaucoup de cuillères à disposition, j’ai donc envie d’en profiter au maximum, et je suis capable de faire en quelques heures ce que je ferais en une semaine. En conséquence, les jours d’après, je me retrouve non-verbale et suis obligé·e de dormir toute la journée pour ne pas succomber à mes idées noires. La bipolarité est donc un cercle vicieux de projet commencés en phase « up » qui seront avortés en phase « down ». Pour cette raison, j’ai souvent l’impression de ne jamais avancer dans ma vie, d’être stupide, d’être flemmard·e, incapable, et surtout imprévisible pour les autres. Il n’existe rien de pire que d’être redevable auprès d’autrui pour moi, car j’ignore si les promesses que je fais pourront être tenues. Selon moi, c’est cet aspect de la maladie qui pousse les bipolaires à se sentir très seul·e·s. J’ai souvent l’impression d’être un poids pour mon entourage, de le ralentir, de l’énerver, de le décevoir, et j’en viens souvent à m’auto-isoler, en sabotant consciencieusement des relations pour ne pas avoir à faire face à leur reproches tacites.
III. Les différents visages des troubles de l’humeur
Dans cette rubrique, j’ai choisi de vous faire découvrir tout un panel de concerné·e·s qui parlent de leur maladies à travers plusieurs médiums. Attention, la plupart sont anglophones !
Célébrités bipolaires:

Virginia Woolf

Britney Spears

Demi Lovato

Ben Stiller
…et plein d’autres, la liste complète ici
Chaînes youtube:
Conférences et interviews:
Une conférence gesticulée (ted talk)
Une interview de Stephen Fry, réalisateur bipolaire.
Livres et magazines:
Un webzine participatif sur les troubles bipolaires
Une BD sur la cyclothymie, à acheter ici

Couverture du livre Goupil ou Face
Références et sources
Conférence de Michel Bourin, psychiatre.
Un cours de médecine sur les troubles de l’humeur
Pour aller plus loin:
Iels en parlent en vidéo :
Un cours en anglais sur les troubles de l’humeur
Un autre cours en anglais, par LikeKristen, étudiante en psycho
crash course sur les troubles de l’humeur par les frères Green
« pourquoi le trouble bipolaire est dificile à diagnostiquer ? »
Un documentaire français sur les troubles de l’humeur
« Peer support » ou Soutien entre concerné·e·s :
Des forums pour en parler : BiPotes
Associations : BiCycle, FondaMental, France-depression, Revivre.
Concernant la cyclothymie, la description n’est pas correcte, il s’agit de cycles ultra rapides (5, 10, 15 dans la journee), allant de l’hypomanie à un syndrome dépressif et de l’angoisse (je suis cyclo). D’autres symptomes sont aussi présents. Lou Lubie l’explique d’ailleurs bien sur son site http://www.goupil-ou-face.fr/cyclothymie/cyclothymie-cest-quoi.html.
Et le Dr Ellie Hantouche en parle aussi dans une émission sur la cyclothymie, qui est dispo sur daillymotion. La cyclo est très peu et mal connue, je trouve ça dommage que cet article donne encore une fausse image de cette pathologie (car à un certain stade, elle est pathologique et très handicapante, destructrice et épuisante).
» il s’agit de cycles ultra rapides (5, 10, 15 dans la journee), allant de l’hypomanie à un syndrome dépressif et de l’angoisse (je suis cyclo). »
Je n’ai pas l’impression que la description de l’article soit incompatible avec cette définition, la fréquence des cycles varie d’une personne à une autre. Ca colle aussi avec la description sur le site goupil-ou-face qui ne précise pas la durée des cycles.
Après oui, dire que c’est un dérèglement « beaucoup plus léger » que la bipolarité, ça met en concurrence les deux en laissant entendre que la cyclothymie est forcément plus facile à vivre ou moins impactante, ce qui n’est pas forcément le cas :/
Cyclothymique depuis des années, peu reconnu par les psychiatres même si le diagnostique de ma psy est le bon d’après moi mais les termes mauvais (bipolaire type 2) certes, mais franchement cyclothymique d’après moi et la lecture du docteur Hantouche. Je pense qu’elle me donne le bon traitement et qu’elle a eu l’honnêteté de m’envoyer chez un autre psychiatre (neuro psychiatre plus réputé et d’ailleurs pas à tort du tout qui a reconnu la cyclothymie). Mon généraliste la reconnait plus volontiers aussi. La cyclothymie est en fait une forme atténué de bipolarité. Atténuée ne veut pas dire moins dangereuse mais moins voyante! D’où un diagnostique très difficile! C’est une maladie difficilement supportable pour les proches. Et donc avec le recul pour le malade. Les épisodes maniaques deviennent des épisodes dépressifs ou plutôt des états mixtes (mélanges détonants d’états tristes, de colères, d’irritabilité) puis à nouveau des explosions de joie, le cerveau qui réagi vite, un QI détonnant, une créativité impressionnante, un regard du monde différend et futuriste… Puis à nouveau la chute. On ne suit plus notre rythme cérébral. Cette folie circulaire.
Oui mais alors non, je maintiens que la définition de la cyclothymie ne va pas du tout, et ça m’agace qu’ici aussi on n’utilise pas les bons mots pour ce trouble. C’est déjà assez difficile de se faire reconnaitre !
La cyclothymie est différente de la bipolarité de type 1 ou 2 notamment par rapport à la longueur des cycles (mais pas que).
Les bipo auront des cycles assez longs voire très longs, plusieurs semaines à plusieurs mois (voire plusieurs années !). La plupart des bipolaires n’auront « que quelques » manies/hypomanies durant leur vie (c’est variable c’est sûr, ça peut aller de quelques unes dans toute une vie à plusieurs par an).
Mais les cyclothymiques ont la particularité d’enchainer des cycles très rapides, sans phase intermédiaire, ou presque pas. Là on parle de phases qui durent de plusieurs heures à quelques jours tout au plus… Donc ça peut faire beaucoup, beaucoup dans une seule journée, et c’est très différent d’un bipolaire de type 1 ou 2.
Cette page explique simplement les différences, et elle cite bien la durée des phases : http://www.goupil-ou-face.fr/cyclothymie/differentes-formes-de-bipolarite.html et celle-ci que j’avais déjà citée : http://www.goupil-ou-face.fr/cyclothymie/cyclothymie-cest-quoi.html
Et l’article plus haut dit « Cyclothymie : Longues phases d’hypomanie et de dépression moyenne qui se succèdent sans pause, souvent provoquées par les changements de saison.»
Cette définition est complètement erronée. Ce ne sont pas des phases longues, bien au contraire. Et les changements de saison, je ne sais même pas d’où ça sort.
Cet article est certainement très bien concernant la bipolarité type 1 et 2 (et c’est un bon témoignage, je ne remet pas du tout en cause !), mais sur la cyclothymie en particulier attention car c’est déjà assez dur de se faire diagnostiquer et de faire reconnaitre ce trouble, merci de ne pas fausser l’image qu’on devrait en avoir.
Voilà la vidéo dont je parlais dans mon autre commentaire : http://www.dailymotion.com/video/xblb48_psy-la-cyclothymie-creative-ou-la-c_news
Et voici un article (du Dr Hantouche, encore) qui décrit les spécificités de la cyclothymie : http://ctah.eu/dossier-cyclothymie-specificite.php?r=1204
Voilà voilà, j’espère que mon commentaire servira peut-être à rectifier le tir sur la cyclo ! 🙂
Merci d’avoir pris le temps d’écrire ces explications !
Merci beaucoup Blank pour toutes ces précisions et corrections.
Perspéhone est désolé.e pour cette grosse méprise et a corrigé l’article hier en conséquences.
N’hésite pas à revenir vers nous si tu voies encore des erreurs / imprécisions sur la cyclothomie, et encore merci pour ta vigilance.
Bonne journée,
Charly.
Bonjour Blank!
Comme je te l’ai déjà dis sur twitter, merci beaucoup pour tes précisions, elles m’ont été utiles pour modifier l’article et essayer de donner des précisions. Si jamais tu veux témoigner spécifiquement sur la cyclothymie, ce serait avec plaisir! Avec mon vécu, j’ai surtout été confronté aux type I et II, alors mon article est sans doute biaisé et j’en suis sincèrement désolé.e. L’article a été fait un peu dans le rush et avec un très mauvais timing par rapport à mes propres humeurs (vous-même vous savez), et il n’a finalement pas été relu par une autre concernée comme c’était initialement prévu.
J’espère que les modifications conviendront aux cyclo qui ont pu lire cet article et se sentir bléssé.e.s; encore une fois je m’excuse et je rappelle que la section commentaire ou l’encadré « personne n’est parfait.e » sur la droite du site sont précisément fais pour ça 🙂
un enchainement très rapide
Merci <3